7 décembre 2023
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L’industrie de la mode nous impose chaque saison un nouveau style ou de nouveaux standards de beauté, mais sont-ils en adéquation avec notre corps ? L’industrie du textile exerce malheureusement une pression sur nos corps : que ce soit sur une chaîne d’approvisionnement dans une usine, sur un podium, dans les magasins ou à la maison devant notre miroir. Combien de fois avez-vous acheté un jean ou un autre article une taille en dessous, en vous disant que vous finirez par perdre du poids éventuellement ?
L’industrie de la mode fixe des normes de beauté irréalistes. Saviez-vous que les tailles ont été invitées dans un souci de rentabilité et de profit ? Comme les tendances, les standards de beauté changent chaque saison. Le “summer body” est obsolète en septembre. Alors pourquoi se mutiler pour rentrer dans des vêtements ? Notre corps est constamment attaqué par l’industrie de la mode mais il est temps d’en finir ! Soyons réalistes : le corps parfait n’existe pas ! Le corps idéal est en réalité celui que l’on possède déjà.
L’Homme de Vitruve existe t‑il ? Le but n’est pas de chercher noise à Léonard de Vinci, mais le corps humain peut-il être complètement et parfaitement symétrique ? Il est fort possible que nous ayons un pied ou une jambe plus courte que l’autre, un sein ou une oreille non symétrique. Aucun corps ne peut répondre à toutes les normes de beauté fixées par l’industrie de la mode. Malgré cela, l’industrie du vêtement continue d’imposer ses vues sur notre corps et uniformise indirectement ceux-ci.
L’industrie de l’habillement est en guerre avec notre corps ! En effet, c’est dans les années 1860, pour la production d’uniformes que l’industrie du vêtement fut bouleversée. Les mobilisations militaires de masse, les changements de régime et les guerres en Europe sont en grande partie responsables de cette mise en place des tailles fixes. Les commandes massives ont donné naissance à une nouvelle industrie dans son ampleur et son organisation. Et c’est après la Seconde Guerre mondiale, que le “prêt-à-porter” voit le jour. Les articles d’habillement sont désormais produits en série et prêts à être portés.
C’est plus précisément l’Organisation internationale de normalisation (International Organization for Standardization), ou ISO une organisation indépendante et non gouvernementale fondée en 1947 qui a classé les tailles. Cette organisation facilite le commerce international en fournissant des normes communes aux nations : “Plus de vingt mille normes ont été établies, couvrant plusieurs choses, de la taille des vêtements aux produits manufacturés”. Vous pouvez donc acheter un jean de taille 38 en Europe (UE), il correspondra à la taille 28 aux États-Unis (US), à la taille 42 en Italie, et à la taille 2 en taille numérique. Selon l’ONG : “L’utilisation de normes contribue à la création de produits et de services sûrs, fiables et de bonne qualité”. En réalité, ces normes permettent une production rapide et en continue de vêtements. Plus la peine de perdre du temps à mesurer les corps de chacun, nos corps devront désormais correspondre aux tailles édictées par l’ISO.
Ces normes sont un cadeau pour l’industrie et plus précisément les détaillants et les publicitaires. Ils utilisent ces critères pour créer et cibler des groupes de consommatrices et consommateurs précis. Il est plus facile pour eux de mesurer et d’identifier des groupes à des fins promotionnelles. Dans les usines, les articles sont fabriqués dans différentes tailles, mais lorsque le produit est mis en avant ils choisissent généralement des mannequins petites tailles. Cette pratique doit changer, toutes les tailles devraient être représentées. Heureusement, certaines marques s’ouvrent à cette idée. Espérons que ce ne soit pas juste une tendance !
Une modéliste nous a confié que le fait de choisir des mannequins de petites tailles était une pratique dangereuse pour l’environnement. En effet, les vêtements promus par des personnes de petite taille sont plus susceptibles d’être retournés et ces retours finissent souvent dans des décharges car renvoyer des articles coûte “très cher” à la marque. Si vous voulez en savoir plus sur la problématique du gaspillage vestimentaire, cliquez ici.
Cette technique de marketing porte également atteinte à notre estime de soi. Vous vous demandez souvent pourquoi l’article vu sur le mannequin ne s’adapte pas à votre corps comme il le fait sur la mannequin ? Eh bien, vous ne le savez peut-être pas mais les articles sont souvent retouchés pour s’ajuster parfaitement à la mannequin le temps de la séance photos. À cause de cela, nous nous retrouvons souvent dans la situation “Instagram vs reality” ou “Instagram vs réalité” où l’article semble parfait sur le site web mais pas sur nous.
L’autre problème est que les tailles standard sont plus susceptibles d’être basées sur un corps de type européen: “Nous utilisons comme référence pour les modèles idéaux Apollon et Antinoüs, à la fois un Dieu et un homme à l’apogée de toutes ses capacités physiques “. Les normes de taille fixées par l’industrie du prêt-à-porter sont souvent en contradiction avec la diversité des corps. Nous ne sommes pas construits de la même manière, mais nous devons tous et toutes rentrer dans les mêmes jeans. Ces normes ne prennent pas en compte, la taille, les fortes poitrines, les différentes tailles de cuisses ou les divers handicaps.
L’industrie a défini une norme corporelle qui sert de référence pour la confection. Nos corps sont donc contraints d’imiter le corps idéal fixé par les industriels. Avant l’ère industrielle, les gens portaient des vêtements personnalisés, sur mesure qu’ils pouvaient modifier au fil du temps : “Le tailleur doit étudier son modèle, comme l’artiste étudie son sujet”. Ils portaient leurs vêtements et non l’inverse. Depuis, nous avons mécanisé l’art des tailleurs et plusieurs personnes se sentent exclues. Toutefois, nous devons assumer nos différences et travailler avec ce que nous avons. Le sur mesure restera la meilleure façon de s’habiller.
Chez COSH ! nous voulons changer le monde de la mode et l’industrie du vêtement. Nous aimerions que les humains et l’environnement soient respectés à chaque étape mais le chemin est encore long. De plus, des études ont montré que la diversité et l’inclusion participent à une augmentation de revenus pour l’entreprise et elles attirent une clientèle plus large.
Heureusement, certains professionnels dans le domaine luttent contre ces visions irréalistes de la beauté. COSH! a interviewé No Babes, un collectif possédant une nouvelle vision. L’agence de mannequin veut changer et briser ces normes irréalistes. Il est temps de résister et d’agir !
Rencontrez No Babes ! No Babes “est un collectif qui remet en question les tabous de toutes sortes de manières créatives, il veut donner une voix aux personnes qui sont souvent tenues à l’écart du fait des standards de beauté mis en place par la société. Le collectif veut également améliorer la santé mentale des jeunes adultes”. Chez No Babes, toutes les nuances de la beauté sont représentées. Le collectif comprend une agence de talent et une académie. L’agence se spécialise dans la redéfinition de la beauté et l’inclusion dans le secteur de la mode et du lifestyle en représentant des mannequins, des maquilleurs et des stylistes : “Nous pensons que le secteur doit ressembler à ce que l’on voit dans la rue. Ces gens méritent une plateforme, une entrée dans le paysage médiatique”. L’Académie propose quant à elle des ateliers pour mettre davantage en avant la diversité et l’inclusivité.
Nous avons interrogé Morgane Gielen, photographe de mode/lifestyle et fondatrice de No Babes afin qu’elle nous explique son projet en profondeur.
Je m’appelle Morgane, j’ai 27 ans. En 2019, j’ai commencé en tant que photographe lifestyle freelance à plein temps et quelques mois plus tard, j’ai lancé No Babes parce que je voulais montrer au monde qui j’étais et quelles étaient mes valeurs en tant que photographe. Nous sommes un collectif qui brise les tabous et donne la parole aux personnes réduites au silence. Je photographie les gens et je les laisse raconter leur histoire. Cela a commencé par des séances de photos pour mon premier livre de photos, puis cela a évolué vers ce projet. Tout le monde pensait que j’étais folle parce que je suis jeune. Ils m’ont dit que “j’avais besoin d’expériences” et j’ai répondu “Non, je veux montrer au monde qui je suis”. J’ai organisé une exposition en juin, entièrement financée par du crowdfunding. Je me suis occupée des précommandes de mon livre et des billets. Ce fut un grand succès ! J’ai dû prendre 500 livres chez mon éditeur pour lui prouver que je pouvais les vendre. Ils avaient peur que cela ne marche pas car j’étais encore jeune et inconnue. Un an plus tard, j’ai presque tout vendu, il me reste 22 livres. J’ai investi 12 000 euros dans ce projet, et chaque livre vendu couvre mes frais.
Grâce à l’exposition et aux livres, No Babes a pris de l’ampleur. En novembre 2021, une émission de télévision belge intitulée “#Nofilter” sur “Ledereen Beroemd” m’a suivie pendant les shootings des modèles No Babes. Nous avons maintenant un podcast appelé “Taboo Talk” où nous racontons des histoires dans un format plus large.
En janvier 2022, j’ai lancé l’agence de mannequins. Cela ne faisait pas partie du plan mais j’ai fait beaucoup de recherches. Je rencontre tellement de gens formidables, je voulais donc leur donner des opportunités dans l’industrie de la mode et il n’existe pas d’agence de ce type en Belgique mais dans les pays voisins oui. Toutefois, nous avons remarqué que la France et l’Italie restent assez classiques dans leurs choix de mannequins.
Le nom est né lors d’une séance de brainstorming avec une agence de marketing. J’essayais d’expliquer que je n’aimais pas photographier les “babes”, les jolis modèles parfaits. J’aime les visages étranges, bizarres et les histoires qui se cachent derrière ces visages. Quelqu’un a alors dit : “Donc vous aimez les no babes”. C’était exactement ça! Cependant, tout le monde est un “babe”, une belle personne à mes yeux. Personne ne correspond à 100% aux normes de beauté, même les personnes dites “belles”. Les personnes que je connais et qui sont proches de ces normes de beauté sont celles qui manquent le plus d’assurance. Elles ressentent sans cesse la pression d’être parfaites tout le temps et c’est juste irréaliste.
L’agence No Babes est nécessaire parce que certaines personnes ne se voient pas à la télévision ou dans les médias. En grandissant, elles se sentent isolées et discriminées. Nous voulons construire un pont, partager des connaissances et des histoires qui habituellement ne sont pas mises en valeur. Nous voulons créer des liens entre différents groupes de personnes.
Je n’aime pas vraiment le terme “body positivity”, je préfère dire “body love” ou “body acceptance”. Le mouvement Body Positivity est né à New York dans les années 60 au sein de la communauté queer, noire et transgenre, en parallèle au Fat Rights Movement ou Fat Acceptance Movement. Ils brûlaient dans la rue des livres de régime et ont lancé ce mouvement parce qu’ils étaient victimes de discrimination. Sachant cela et voyant des Blancs utiliser ce terme, je ne veux pas l’utiliser. Je n’ai rien contre un mouvement qui accepte tous les corps, mais si vous regardez l’histoire, ce terme appartient à cette communauté.
La chose qui m’a le plus surpris depuis le lancement est que les gens du secteur de la mode ne prennent pas notre approche au sérieux. Ils consacrent moins d’argent et de temps à nos modèles. Un mannequin de taille 36, mesurant 175 cm, va obtenir plus d’emplois et sera plus rémunéré. On me demande sans cesse si mes modèles sont gratuits. Ils pensent que leur exposition est suffisante. Je leur répète qu’ils sont des professionnels. J’ai également remarqué que les autres agences ne sont pas prêtes à changer. Si l’un de mes modèles défile pour elles, elles passent 5 minutes au maximum sur son dossier et pour finir ils lui demandent de perdre du poids. Je dois leur rappeler que dans l’e-mail, j’ai spécifiquement précisé que nous sommes une agence inclusive. Nous ne voulons pas que nos modèles perdent du poids et nous voulons représenter tout le monde. C’est une lutte constante, en fonction des pays, pour faire connaître nos modèles.
Oui, le secteur évolue, mais lentement. Nous constatons que nos modèles sont de plus en plus engagés et que les campagnes sont plus inclusives, ce qui est super! Mais il y a un groupe d’agences qui le font parce que c’est une tendance et un autre groupe qui veut vraiment voir des changements. Même si certaines ont de mauvaises intentions, c’est déjà un pas dans la bonne direction.
Chez COSH! nous voulons que l’ensemble de l’industrie du vêtement devienne plus éco-responsable et éthique, c’est pourquoi nous mettons en avant les bonnes alternatives et en espérant que cela en inspire d’autres. L’industrie de la mode devrait mettre en avant diverses personnes, tailles et être plus inclusive à tous les niveaux. La société évolue et l’industrie de la mode doit suivre la tendance, et non l’inverse!
Références:
- https://www.universalis.fr/encyclopedie/mode-histoire-et-composantes/2‑pret-a-porter/
- https://www.iso.org/about-us.h…
- https://en.wikipedia.org/wiki/…
– https://halshs.archives-ouvert…
- Fulerand-Antoine Barde, Traité encyclopédique de l’art du tailleur, Paris, Chez l’auteur, 1834, p. 57 – 60, p. 85 et p. 141.
- Vandael, Manuel théorique et pratique du tailleur…, Paris Roret, 1833, p. 137 – 139.
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