7 décembre 2023
Un nouveau rapport montre que l’UE continue d’être impliquée dans le travail forcé des Ouïghours
- Fabrication
- Commerce équitable
JOURNALISTE: SARAH VANDOORNE
Nous consommons moins à cause de la crise du coronavirus. C’est pourquoi les marques de vêtements, comme beaucoup d’autres entreprises, annulent leurs commandes auprès des fournisseurs. Mais à cause de cela, des dizaines de milliers de travailleurs du textile au Bangladesh se retrouvent sans travail et sans revenu. Les marques de vêtements belges assument-elles leurs responsabilités, ou laissent-elles simplement les personnes qui fabriquent nos vêtements à la rue ?
1,5 milliard d’euros. C’est l’ampleur de la perte que le secteur belge de la mode a subi entre mars et juillet. Selon les calculs de la fédération sectorielle représentant les grands distributeurs tels que ZEB et C&A, Comeos.
En comparant ces chiffres à ceux de l’alliance commerciale bangladaise BGMEA, on obtient une image différente. Selon cette organisation, qui représente les fabricants de vêtements du Bangladesh, près de 3 milliards d’euros de commandes ont été annulés au début de la crise du coronavirus. Un montant qui équivaut à près d’un milliard de vêtements invendus et plus d’un million de travailleurs touchés.
Selon une étude par la Schone Kleren Campagne (“Campagne pour des Habits Propres”), ces annulations ont entraîné une baisse de près de 4,9 milliards d’euros en salaires pour les travailleurs du textile. On estime que Bangladesh a perdu près de 500 millions d’euros.
Dans le monde, 50 à 60 millions de travailleurs sont concernés. Une vraie tragédie quand on apprend que trois sur quatre de ces travailleurs ont peiné à nourrir leur famille et qu’un travailleur sur dix dans le monde a été licencié.
Parmi les marques de mode qui ont annulé ou suspendu des commandes au Bangladesh figurent seize moyennes à grandes entreprises belges du textile. Au total, près de 7 millions de vêtements sont concernés, pour une valeur de plus de 15 millions d’euros. Nos recherches montrent que rien qu’au Bangladesh, près de 80 000 travailleurs ont été touchés par les commandes annulées de marques belges.
Hans Cardyn, porte-parole de Comeos, trouve “compréhensible que les entreprises annulent leurs ordres en temps de crise”. “C’est la toute première fois que nous sommes confrontés à une crise d’une telle ampleur”, écrit Cardyn. “Au printemps, les ventes ont complètement cessé. Difficile de juste continuer la production : les commandes ont dû être adaptées à la nouvelle réalité.”
Une nouvelle réalité ? #PayUp
L’analyse pragmatique de M. Comeos est diamétralement opposée à la vision des organisations de défense des droits de l’homme chez nous et à l’étranger. La Schone Kleren Campagne par exemple, demande depuis la mi-mars aux marques de ne pas annuler leurs commandes sans concerter avec les fournisseurs. L’homologue américain de l’organisation, le Worker Rights Consortium (WRC), utilise même un tracker pour suivre quelles marques l’ont fait.
Les organisations appellent aux marques de payer les fournisseurs dans les délais pour des commandes placées même si celles-ci sont annulées ou reportées à cause de la crise du coronavirus. L’organisation américaine Remake, qui veut mettre fin à la “fast fashion”, a lancé fin mars le hashtag #PayUp et une pétition, qui a été signée près de 300 000 fois.
Selon la bangladaise Dil Afrose Jahan (29 ans), journaliste indépendante pour le journal Dhaka Tribune, nous “ne devrions pas avoir trop de sympathie” pour les magasins et les marques de mauvaise qualité qui annulent ou suspendent leurs commandes. “Il y a une grande différence entre une année de chiffres négatifs pour un petit ou un grand détaillant et un ouvrier qui a perdu son revenu ou son emploi”, explique Jahan. “L’un pourra manger le lendemain, l’autre non. C’est aussi simple que ça”.
Quelles sont les marques produisant au Bangladesh qui ont annulé ou reporté leurs commandes au début de la crise du coronavirus ? Ces informations ne sont pas facilement accessibles au public, mais l’organisation bangladaise BGMEA les a recueillies pour soutenir les recherches du Workers Rights Consortium, en collaboration avec l’Université de Penn State.
L’ensemble de données a été divulguée par un défenseur anonyme des droits de l’homme au Bangladesh, et envoyée à la journaliste Dil Afrose Jahan. Cela s’est produit hors du contrôle de la BGMEA. Jahan avait déjà travaillé avec des journalistes d’investigation étrangers et a donc partagé le fichier de données avec Reflekt, la plateforme suisse pour le journalisme d’investigation, et le site d’information néerlandais De Correspondent. Les données sont désormais accessibles au public via le site web de Reflekt.
Jahan a enquêté sur les informations avec les journalistes de Reflekt Sylke Gruhnwald, Christian Zeier et Benedict Wermter et Emy Demkes de De Correspondent. Ils se sont principalement concentrés sur les données liées à C&A.
En plus de cette chaîne européenne bien connue dont le siège est en Belgique, quinze autres marques belges sont aussi concernées. Ensemble, ils représentent près de 7 millions de vêtements d’une valeur de plus de 15 millions d’euros. Les données de la BGMEA montrent également combien de travailleurs ont été touchés.
La moitié de ces chiffres sont liées à C&A. Selon l’ensemble de données, C&A a annulé des commandes destinées au marché belge d’une valeur de 7,5 millions d’euros. Au niveau mondial, la marque a annulé des commandes d’une valeur de 151 millions d’euros. La société ne s’est toujours pas engagée à payer 100 % des commandes, la WRC suit de près la situation.
La journaliste Dil Afrose Jahan travaille au Dhaka Tribune depuis près de cinq ans. Ces dernières années, elle a concentré son travail sur l’industrie textile. Elle a ainsi mis en place un réseau d’informateurs, dont des organisations locales de défense des droits de l’homme et des syndicats. Elle a ainsi reçu des données confidentielles sur les commandes passées au Bangladesh.
Les données divulguées sont parvenues à Jahan mais aussi à un collègue du journal concurrent The Daily Star. Les données en question provenant de deux sources différentes.
Jahan avait déjà travaillé avec des journalistes étrangers et a décidé de partager l’information qu’elle avait reçu avec Sylke Gruhnwald, Christian Zeier et Benedict Wermter, journalistes de la plate-forme de recherche suisse Reflekt. Ils ont à leur tour partager les données avec la journaliste néerlandaise Emy Demkes, journaliste mode chez De Correspondent. Une équipe de cinq journalistes a publié des articles en juillet dans la Dhaka Tribune, De Correspondent et le magazine suisse (germanophone) Beobachter.
Une enquête menée auprès des marques belges figurant sur la liste a révélé que plusieurs marques remettent en question les données mentionnées concernant leurs commandes au Bangladesh. Une entreprise a déclaré que la source était “inexacte” et a donc refusé de répondre à toute question. Une autre marque remet en question la manière dont les données ont été collectées.
Rubana Huq, président de la BGMEA, réfute ces affirmations. Elle qualifie l’ensemble de données de “correctes mais datées, étant donné que les informations ont été demandées en mars”. A l’inverse, Benedict Wermter, journaliste pour Reflekt, décrit l’ensemble de données comme “un instantané incomplet qui donne néanmoins une image claire de la situation”.
Dans les grandes entreprises, des organismes de surveillance comme le WRC peuvent vérifier si les marques tiennent leurs promesses, grâce à des contacts avec les principaux fournisseurs et les syndicats locaux. La tâche est bien compliquée lorsqu’il s’agit de petites entreprises. Toutes les marques interrogées affirment avoir payé leur commande, malgré un retard ou une annulation. Cependant, lorsqu’il leur a été demandé de fournir une preuve de paiement, aucune des marques n’a accepté, en partie pour des raisons de concurrence et de protection de la vie privée.
Ce qui est certain, c’est que les quinze entreprises belges dont les données ont fuité ont décidé en mars d’annuler ou de suspendre un certain nombre de commandes au Bangladesh.
L’ensemble de données montrent que ces marques belges ont suspendu leurs commandes en mars :
Trois marques belges ont partiellement annulé et partiellement suspendu leurs commandes en mars :
Et enfin, trois marques belges ont complètement annulé leurs commandes en mars :
Selon les données, ces sept entreprises étrangères qui importent en Belgique sont certainement impliquées :
H&M, Damart, Carrefour, Quiksilver, TigerCo, Marni Clothing, Devred 1902 (Mathex), Sincia 4
Si l’on additionne toutes les commandes destinées au marché belge, on arrive à un montant total de plus de 24 millions d’euros. Et ce n’est probablement que la pointe de l’iceberg des commandes annulées.
Les données fuitées mentionnent également d’autres grandes marques ayant des magasins en Belgique : des marques telles que Esprit, Vero Moda, Only et Jack & Jones n’ont toujours pas payé les leurs commandes. Mais leurs commandes répertoriées n’étaient pas spécifiquement destinées au marché belge. D’autres marques, dont Primark et Gap, n’ont confirmé leurs commandes que l’été dernier.
La plupart des entreprises ont temporairement reporté les commandes. Selon les données, trois entreprises ont décidé d’annuler tout ou une partie de leurs commandes : Euro Shoe (le groupe derrière la chaîne Bristol, red.), LolaLiza et Malu.
Malu nie que les annulations dans l’ensemble de données soient liées à la crise du coronavirus. LolaLiza ne parle pas d’annulations dans sa réponse, mais de “réductions”. Et Bel&Bo nous a indiqué qu’ils ont annulé certaines de leurs commandes. Une plus petite marque qui avait d’abord mis ses commandes en attente, Bremed, a décidé en fin de compte de ne pas placer de nouvelles commandes du tout cette année.
La plupart des marques ont avoué avoir reporter une partie de leurs commandes (voir aussi les réponses des marques au bas de cet article). Seul JBC parle de “quelques changements de dates de livraison” et souligne qu’elle “n’a rien mis en attente”.
La plupart des marques expliquent que les reports et annulations de commandes ont toujours eu lieu en concertation avec les fournisseur. Un certain nombre de marques affirment que les fournisseurs le demandaient même, car le Bangladesh était en lockdown : un retard de livraison était donc inévitable.
Il y avait du retard car le Bangladesh a été confiné deux fois”, explique Patrick Desrumaux, PDG de la marque de mode Xandres, qui produit principalement en Europe. Bruno Van Sieleghem, responsable du développement durable chez Stanley/Stella, est d’accord : “Nos fournisseurs étaient particulièrement heureux que nous n’ayons pas annulé nos commandes, comme l’ont fait tant d’autres marques. En raison de circonstances exceptionnelles, la marque a bénéficié d’une remise d’un pour cent de la part du fournisseur, “ce qui nous a semblé juste”.
Tout comme JBC et Bel&Bo, Stanley/Stella est membre de la Fair Wear Foundation, une organisation où les marques travaillent pas à pas pour améliorer les conditions de travail dans les usines de vêtements. Depuis le début de la crise sanitaire, La Fair Wear Foundation conseille les marques à propos de l’impact de leurs décisions sur la vie des travailleurs. L’organisation les évalue également sur la manière dont ils ont géré la crise dans le cadre d’un contrôle annuel de la performance de la marque.
“Nos conseils ? N’annulez pas les commandes qui sont prêtes ou presque prêtes à être expédiées, qui sont déjà en production ou pour lesquelles le tissu a déjà été acheté ou coupé”, déclare Lotte Schuurman, responsable de la communication de la Fair Wear Foundation. “Le report des commandes à la saison suivante et le report de vos paiements ont également le même effet que l’annulation des commandes”.
Pour Jasmien Wynants, expert en durabilité chez Flanders DC, le fait que les marques ne modifient pas leurs commandes semble irréaliste. “Il s’agit d’un problème mondial et systémique, qui ne se produit pas seulement maintenant et en Belgique. D’une part, certaines des marques devront déposer leur bilan ce qui ne résout rien non plus. D’autre part, si vous n’annulez pas, vous allez surproduire: vous créez quelque chose pour lequel il n’y a pas de marché. C’est aussi de cette façon que vous « contribuez au problème ».”
Le stock de vêtements invendus est en partie conservé pour la prochaine saison, en partie vendu dans les “coins points de vente” de votre propre magasin et, enfin, en partie vendu lors des soldes de l’année suivante. C’est en tout cas ce qu’affirme Isolde Delanghe, directrice de l’organisation sectorielle belge Mode Unie. “Finalement, si le stock n’est pas vendu d’ici la fin de l’année suivante, il ira à une organisation caritative ou à un acheteur.”
“Nous avons continué à passer toutes les commandes et disposons maintenant d’un stock énorme dans notre grand magasin”, déclare Valérie Geluykens, responsable de la responsabilité sociale des entreprises chez JBC. “C’est remplis à ras bord ! Nous avons repoussé la vente d’une partie des marchandises du printemps au mois de septembre et une autre partie juste avant l’été 2021. Il s’agit d’un choix conscient : nos collections ne seront pas démodées, et le simple fait de tout miser sur les soldes ne nous semble pas viable”.
Sara Ceustermans de Schone Kleren Campagne trouve cela très positif. “Le scénario aurait été bien pire s’ils avaient pensé que le coût du stockage était trop élevé et avaient simplement détruit les vêtements. Bien que je doive admettre : Je suppose que cela se produira dans le secteur, mais peut-être d’abord par d’autres entreprises”.
Selon le professeur Huib Huyse, chef du groupe de recherche pour le développement durable (HIVA/KU Leuven), il est frappant de constater que certaines marques gèrent mieux que d’autres les livraisons tardives de la collection d’été. “Certaines entreprises disent qu’elles vont simplement garder des commandes en stock pour l’année prochaine. D’autres disent qu’ils ne souhaitent plus acheter leur commande et l’annulent. Cela fait une sérieuse différence.”
“Reporter les commandes semble moins drastique que les annuler, mais cela peut aussi avoir un impact sur les salaires des travailleurs”, déclare Ceustermans. “Souvent, les coûts des commandes ont déjà été déboursés, tant pour les tissus que pour la main-d’œuvre. C’est aux marques de faire leurs devoirs et de voir comment elles peuvent atténuer l’impact de leurs décisions, afin que les travailleurs du textile n’en soient pas victimes”.
“Ce qui est essentiel dans cette histoire, c’est de savoir si cela a été fait en consultation avec l’usine”, explique M. Schuurman. “Cela semble simple, mais le fait que les usines et les marques travaillent ensemble en tant que partenaires est malheureusement peu fréquent dans cette industrie. Les marques ont eu beaucoup de mal, comme vous le savez. Ils cherchent des solutions durables pour maintenir leur partenariat. En concertation avec l’usine, ils réussissent parfois à limiter les dégâts.”
Par rapport à C&A, qui, selon l’étude de Reflekt, a annulé sans concertation leurs commandes, toutes les marques belges interrogées soulignent qu’elles ont toujours communiqué avec les fournisseurs avant de reporter ou d’annuler une commande. “Dans la détresse, on apprend qui sont nos amis”, explique le PDG de la marque de mode Xandres, M. Desrumaux. “Nous avons trouvé beaucoup d’amis chez nos fournisseurs.”
En Belgique, il existe de nombreuses entreprises familiales qui entretiennent des relations à long terme avec des fournisseurs afin de garantir la continuité de leur production”, explique Boris Verbrugge, chercheur à l’HIVA. “Ce type de relation entraîne également des responsabilités. Si vous effectuez des achats auprès d’un même fournisseur depuis cinq à dix ans et que vous annulez simplement vos commandes en cas de problème, ce n’est pas de la gestion éthique du commerce”.
Le chercheur appelle cela un exercice d’équilibre. “Si la responsabilité des entreprises devient trop importante, elles se contenteront de prendre leurs distances avec leurs fournisseurs. Vous vous retrouvez alors dans ce genre de situation, où les commandes ont été annulées sans aucune consultation. Mais en même temps, une grande partie de la solution réside dans ces relations à long terme”.
Le chercheur Boris Verbrugge fait référence à la législation européenne sur la “les droits de l’homme de la diligence”, librement traduite au “devoir de diligence des droits de l’homme”. Le commissaire européen belge Didier Reynders (MR) a promis à la fin du mois d’avril une initiative législative.
Le nouvel accord de coalition fédérale y fait référence brièvement, en deux phrases. “Le gouvernement jouera un rôle pionnier dans l’élaboration d’un cadre législatif européen sur le devoir de diligence”, peut-on lire à la page 76. “Dans la mesure du possible, un cadre national de soutien sera établi à cette fin.”
Dans le contexte de la future législation sur le devoir de diligence, il sera de plus en plus important pour les entreprises de réagir de manière appropriée et de prendre leurs responsabilités. Lors des bons et des mauvais jours”, dit Verbrugge.
“Les marques peuvent déjà mettre de l’ordre dans leur devoir de diligence elles-mêmes”, déclare Sara Ceustermans de la campagne Clean Clothes. “Ce qui me déçoit un peu, d’après les réactions, c’est que les marques ne semblent pas reconnaître leur impact éventuel sur les salaires des employés. Même lorsque leurs commandes étaient “juste” mises en attente et payées par la suite. Connaître leur impact est une partie essentielle du “devoir de diligence”.”
Ceustermans ne se fie pas seulement au procédé politique et va entamer cet automne des discussions avec les marques sur une assurance-salaire ou une garantie de salaire. “Les marques doivent libérer des ressources et garantir au public que tous les employés de leur chaîne d’approvisionnement recevront un salaire normal. Cela comprend les arriérés de salaires et les indemnités de licenciement si une usine doit fermer.”
Cette garantie de salaire serait là en temps de crise, mais Ceustermans espère des cotisations plus permanentes. “Clean Clothes Campaign travaille actuellement sur une proposition visant à résoudre le problème des arriérés de salaires et des indemnités de licenciement manquantes au moyen d’un fonds.”
Qu’en pensent les marques elles-mêmes ? Les marques que nous avons interrogées et qui ont répondu à notre proposition d’entretien sont toujours hésitantes. Certains font référence à leurs engagements en cours avec la Fair Wear Foundation. Tine Buysens de Bel&Bo répond positivement et dit que grâce à leur adhésion à Fair Wear, ils examinent “comment concrètement nous pouvons traduire nos connaissances acquises dans le cadre de nos structures actuelles”.
“Ma plus grande question concernant les chiffres est de savoir quelle est l’intention sous-jacente des annulations et des reports de commandes”, déclare le professeur Huyse du groupe de recherche pour le développement durable. “Il serait cynique qu’il ne s’agisse que de préserver les marges bénéficiaires, de sorte que dans deux ans les entreprises soient à nouveau en parfaite santé, alors que des centaines de milliers de personnes se sont retrouvées à la rue.”
Bien que toutes les marques de mode ne se portent pas aussi bien à l’heure actuelle. Entre-temps, un des clients de Vegotex a fait faillite, de sorte que la marque de mode a dû reporter sa commande. Euro Shoe, qui est en déficit et n’a pas voulu répondre, a annoncé plus tôt dans la presse qu’elle pourrait devoir fermer quarante magasins supplémentaires.
Mais aucune des marques que nous avons pu interroger n’a parlé totalement négativement de la période passée, malgré une perte de chiffre d’affaires importante. “Nous gérons notre entreprise comme un bon père de famille et nous pouvons résister à une période difficile”, explique par exemple Tine Buysens, responsable de la responsabilité sociale des entreprises chez Bel&Bo. Bruno Van Sieleghem de Stanley/Stella fait des calculs : “Nous avons connu une croissance inférieure aux prévisions, mais nous continuerons à croître de 8 % dans ces circonstances”.
“Cette année n’a été facile pour personne, mais nous avons plutôt bien résisté”, conclut Roger Van Craen, propriétaire de Malu, un fournisseur de vêtements aux grands distributeurs belges. “Grâce aux contact avec les fournisseurs en Chine, nous avons pu anticiper assez rapidement.”
“Nous avons même soutenu financièrement deux grandes usines, l’une en Inde et l’autre au Bangladesh”, dit Van Craen, “lorsqu’elles ne pouvaient pas produire parce que, entre autres, elles ne recevaient plus de tissus de la Chine. C’est le type de relation que nous avons avec nos fournisseurs.”
Le même Roger Van Craen, propriétaire de la marque de mode Malu, a également déclaré qu’il n’est pas sûr à cent pour cent que les travailleurs au Bangladesh ont été payés. “Nous savons qu’un certain nombre d’usines ont été fermées. Je ne peux pas dire avec certitude si elles ont payé leurs travailleurs. Il y a une grande différence entre le filet de sécurité sociale ici et l’absence de filet de sécurité là-bas”.
“Cela montre un manque de compréhension de la responsabilité”, conclut Mme Ceustermans, en faisant référence au soins qu’elle a précédemment insisté doivent être apportés aux chaînes d’approvisionnement. “Il est vrai, bien sûr, qu’il n’existe pratiquement pas de filet de sécurité sociale. C’est pourquoi les marques doivent faire plus d’efforts pour identifier les risques et y remédier”.
Le journaliste bangladaise Dil Afrose Jahan s’est entretenu avec des travailleurs qui cousent des vêtements pour C&A. “Si je ne travaille pas, je mourrai de faim à la maison”, a déclaré anonymement l’un d’entre eux, Kulsum (pseudonyme). “Si j’ai le coronavirus, je n’aurais pas assez d’argent pour me soigner.” Écoutez vous-même ce court enregistrement d’une conversation avec elle :
Les recherches montrent également comment des travailleurs comme Kulsum ont lutté ces derniers mois. Les chiffres de l’Alliance Globale pour l’Amélioration de la Nutrition montrent que 43 % des travailleurs de l’industrie textile du Bangladesh étaient mal nourris pendant la fermeture. D’autres chiffres, provenant du BRAC et de l’Université de Californie, indiquent que 77 % des travailleurs “luttent actuellement pour nourrir leur famille”.
Un travailleur de l’industrie textile sur dix a été licencié entre janvier et juin, selon un récent rapport du Worker Rights Consortium. Ces chiffres ne sont pas seulement valables pour le Bangladesh : la nouvelle étude se concentre également sur l’industrie textile au Cambodge, en Inde, en Indonésie, au Myanmar, au Pakistan, au Vietnam, en Égypte, en Éthiopie, au Kenya, au Salvador, au Guatemala, au Nicaragua, au Mexique et au Pérou.
Ces chiffres ne comprennent probablement même pas encore toutes les conséquences de la crise du coronavirus : les chercheurs prennent en compte le fait que 35 % des travailleurs de l’industrie textile pourraient encore être licenciés dans les prochains mois. “C’est très alarmant.”
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